Burkina : L’impact de la crise sécuritaire sur la biodiversité exploré par le comité national MAB de l’UNESCO
A l’occasion de la Journée internationale sur les réserves de biosphère, le comité national MAB de l’UNESCO a, en différé le jeudi, 30 novembre 2023 à l’université Pr Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou, organisé une conférence publique sur le thème : « Réserves de biosphère et la crise sécuritaire ». Placée sous la présidence du directeur de cabinet du ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Dr Roger Honorat Charles Nébié, la conférence publique a été animée par le colonel-major des Eaux et forêts à la retraite, Lamoussa Hébié ; le président du comité national MAB et chercheur au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), Dr Ollo Théophile Dibloni, et le président de l’université de Ouahigouya, Pr Adama Ouéda, Pr titulaire de biologie et écologie animales. La modération a été, elle, assurée par Pr Patrice Zerbo, directeur de l’Unité de formation et de recherche en sciences de la vie et de la terre (UFR/SVT).
Le programme de l’UNESCO (Organisation des nations-unies pour l’éducation, la science et la culture) sur l’homme et la biosphère (MAB) est un programme international de recherche de formation, de démonstration et de diffusion de l’information.
Selon le président du comité national MAB, Dr Ollo Théophile Dibloni, cette communication sur les « Réserves de biosphère et la crise sécuritaire » vise à sensibiliser les étudiants et les enseignants-chercheurs à reconnaître que la réserve de biosphère est un outil de travail, par lequel on peut mener des activités de recherche et où les jeunes étudiants peuvent apporter leurs contributions à la connaissance du monde naturel. Il s’agit donc, par-là, d’inciter les étudiants à profiter des opportunités qu’offre le comité MAB (une bourse est régulièrement lancée ; l’objectif, c’est que les étudiants burkinabè puissent bénéficier de ces opportunités pour des formations universitaires et scientifiques).
Du panel, on peut retenir que les réserves de biosphère sont des zones qui ont été reconnues comme telles par la communauté internationale, et au Burkina, la biodiversité est encore existante, mais exposée à l’action de destruction de l’homme. Donc, il faut agir. Les aires protégées (qui contribuent au maintien de la diversité biologique et des processus écologiques essentiels à la vie, ndlr) sont des cibles des groupes armés terroristes, qui vivent ou se refugient quand ils sont acculés. Aussi constituent-elles des couloirs de trafics et plus de 30% sont impactées par l’orpaillage.
‘’Une réserve de biosphère doit compter des espèces exceptionnelles, parce qu’il faut vraiment que ce soit un lieu assez emblématique. Si on prend le cas par exemple de la marre aux hippopotames, c’est une marre où il y a environ 100 hippopotames. C’est dire que la communauté a dû conserver cette marre-là pour que les hippopotames puissent y vivre. C’est un plus pour la communauté. Quand on va au niveau du parc W Arly, c’est là-bas qu’on a vraiment les derniers éléphants du Sahel, il y a des buffles, des guépards, qu’on ne trouve pas au Burkina, on peut y trouver des léopards. Ce sont souvent des espèces en voie de disparition qu’on peut trouver dans ces zones et il faut les protéger, pour que les générations futures sachent quelles sont les espèces qu’on a dans ces zones-là’’, plonge Dr Ollo Théophile Dibloni, précisant que ce sont des zones exceptionnelles donc, reconnues par la communauté internationale pour la préservation des espèces fauniques et floristiques.
Au Burkina Faso, il y a trois réserves de biosphère : la réserve de biosphère de la marre aux hippopotames, la réserve de biosphère de W Burkina Faso et la réserve de biosphère d’Arly.
La problématique actuelle est qu’avec la situation sécuritaire, ces zones sont devenues inaccessibles, dit-il. « Personne n’ose aller, donc on ne peut pas savoir exactement quelle est la situation. Il faut attendre qu’il y ait un peu d’accalmie pour pouvoir accéder à ces zones et savoir justement quel a été l’impact de cette crise sécuritaire dans ces réserves », pose le chercheur Dibloni.
De son avis, la biodiversité peut reprendre, surtout les végétaux, parce que les terroristes ont besoin de se camoufler. « Mais où ils sont, qu’est-ce qu’ils mangent ? C’est cela l’inquiétude. Si la végétation a peut-être repris, qu’est-ce qu’il en est de la faune dans cette zone ? Cela reste une question pour le moment », s’interroge-t-il, précisant qu’il est donc difficile de faire un état des lieux exhaustif.
« Depuis 2017 où il y a eu les premières attaques à Arly, personne n’y entre pour faire des inventaires. Donc, c’est vraiment difficile. Mais nous tenons justement à ce que ce soit protégé, vaille que vaille », plaide, dans sa communication, le président du comité national MAB, Dr Ollo Théophile Dibloni.
- Pr Dibloni résume ici les contours de la conférence publique.
C’est pourquoi, en guise de perspectives, il préconise la sensibilisation des populations ; les formations aux bonnes pratiques culturales que de conservation. « Et les différents projets qu’on a eu ces derniers temps, c’est de pouvoir les impliquer (les populations) dans des formations afin qu’elles puissent tirer profit de ces réserves de biosphère », confie Pr Dibloni.
Pour le colonel-major des Eaux et forêts à la retraite, Lamoussa Hébié, la crise sécuritaire a eu pour impact sur les aires protégées et les réserves de biosphères, l’installation d’une psychose au sein du personnel en charge de la surveillance, les pertes en vies humaines et d’importants dégâts matériels. A ces éléments, s’ajoutent l’affaiblissement des capacités d’interventions des services forestiers, la perte d’emplois et de devises, la perte de la notoriété internationale du Burkina dans le secteur de la faune, la recrudescence des pressions anthropiques sur les ressources, la dégradation des écosystèmes et la perte de la biodiversité.
- Les panélistes ont été, à l’issue de leur communication, attentifs aux réactions des participants à l’activité.
Les principales insuffisances sont, elles, relatives à l’anticipation, la synergie dans la lutte, la coopération transfrontalière, la capacité opérationnelle des eaux et forêts, la prise en compte des aires protégées dans les interventions, les interventions non consolidées, à l’intégration des aires protégées dans les planifications locales et régionales, aux retombées socio-économiques, au refus des projets et programmes de prendre en compte la dimension sécuritaire, à l’insuffisance et à l’incohérence juridiques, aux approches non opérationnelles.
D’où les propositions de consolidation visant à consacrer l’existence juridique des réserves de biosphère au plan national, à l’élaboration au niveau national de normes d’intervention dans les réserves de biosphère, la mise en place des instances au niveau des sites de réserves de biosphère pour le suivi de l’application de l’approche « réserves de biosphère ». A cette liste, s’ajoutent l’actualisation des zonages des réserves de biosphère, l’évaluation de la gestion durable des réserves de biosphère au Burkina, l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme d’informations et de communications sur les réserves de biosphère.
Pour le spécialiste Hébié, la gestion durable des réserves de biosphère doit faire l’objet d’une attention dans la politique de gestion des aires protégées.
Dans l’état des lieux des menaces sur la biodiversité au Burkina qu’il a dressé, Pr Adama Ouéda, Pr titulaire de biologie et écologie animales, président de l’université de Ouahigouya, a d’abord fait un bilan synthétique de l’état de la biodiversité au Burkina avant d’identifier et classer les menaces d’origine anthropique pesant sur la biodiversité.
Ainsi, de l’état des lieux, le communicant a relevé que de la deuxième monographie, les causes de la perte de biodiversité au Burkina sont les feux de brousse, la réduction progressive des temps de jachère (démographie accélérée), la péjoration climatique, la pauvreté, la chasse et le piégeage des animaux terrestres, l’élevage, les cultures annuelles et pérennes non ligneuses, les effluents agricoles et forestiers.
Selon la perception de l’opinion, les causes sont l’agriculture, l’utilisation des ressources biologiques, la pollution des eaux et sols, les plantes envahissantes, les pesticides et engrais chimiques, les effluents urbains, les mines et carrières en forte progression, les intrusions et perturbations humaines (terrorisme).
C’est pourquoi a-t-il recommandé que le Burkina s’engage dans une politique de restauration de la biodiversité qui sera soutenue par une réduction des menaces dans les secteurs de l’agriculture, l’élevage, les mines et carrières, l’utilisation des ressources ; mette un accent particulier sur les zones du sud-ouest du pays et sur les îlots de forêts denses et comble le gap en matières de données.
O.H.L
Lefaso.net