Israël : la censure militaire encadre fermement les médias

Tel-Aviv – Alors que le conflit israélo-iranien embrase la région, la question de la liberté d’informer en Israël refait surface avec acuité. Depuis octobre 2023, le système de censure militaire israélien (déjà l’un des plus structurés du monde démocratique) connaît une extension sans précédent. Dans un climat de guerre et de tension permanente, cette censure, justifiée par la sécurité nationale, soulève désormais de profondes inquiétudes sur l’équilibre entre protection des citoyens et droit à l’information.
Une censure militaire institutionnalisée
Héritée du mandat britannique de 1945, la censure militaire israélienne est un dispositif légal, intégré aux structures de l’armée. Son objectif est clair : empêcher la diffusion d’informations susceptibles de nuire à la sécurité de l’État. En temps normal, elle agit en coordination avec les grands médias du pays, dans un esprit de “compréhension mutuelle” forgé depuis les guerres fondatrices d’Israël.
Mais en temps de guerre, ce mécanisme devient autrement plus puissant. Depuis l’attaque du Hamas en octobre 2023, le censeur militaire examine chaque jour des centaines de contenus. Il peut bloquer, retarder ou modifier toute publication relative aux mouvements de troupes, aux frappes aériennes, aux pertes militaires ou à l’identification des soldats. En 2023, plus de 3 200 articles ont été modifiés ou interdits, un chiffre record selon le journal Haaretz.
L’intensification post-7 octobre
Le tournant s’est amorcé avec le déclenchement de la guerre contre le Hamas à Gaza, puis s’est accéléré avec les frappes contre l’Iran. Des consignes très strictes ont été transmises aux rédactions israéliennes : ne pas publier d’informations non validées sur les cibles, les bilans ou les ripostes. Dans de nombreux cas, des images, pourtant disponibles sur les réseaux sociaux étrangers, sont interdites de diffusion en Israël.
En mai 2024, les autorités sont allées plus loin encore en appliquant la désormais célèbre “loi Al Jazeera”, votée par la Knesset. Cette loi autorise le gouvernement à interdire tout média étranger jugé dangereux pour la sécurité nationale. Al Jazeera a été la première cible : ses bureaux à Jérusalem ont été perquisitionnés, son matériel saisi, son signal brouillé.
Des critiques de plus en plus vives
Si une partie de la population israélienne soutient ces mesures au nom de la défense nationale, les voix critiques se multiplient, y compris au sein de la presse israélienne elle-même. +972 Magazine, Haaretz ou encore l’Union des journalistes israéliens dénoncent une « dérive vers une culture de l’opacité ». Pour Reporters sans frontières, « la censure militaire en Israël sort aujourd’hui de son strict mandat sécuritaire pour devenir un instrument politique ».
Les journalistes étrangers ne sont pas épargnés. Plusieurs correspondants occidentaux ont signalé des restrictions d’accès aux zones sensibles, des pressions ou des refus d’accréditation. Human Rights Watch et Amnesty International s’inquiètent également du caractère sélectif de cette censure, qui vise davantage les voix critiques du gouvernement Netanyahou.
Une démocratie sous tension
Israël se trouve aujourd’hui à un carrefour. Pays démocratique dans une région instable, il a toujours justifié ses restrictions médiatiques par un impératif de survie. Mais la multiplication des outils de contrôle (lois spéciales, surveillance algorithmique, pression sur les rédactions ) interroge sur la résilience de ses institutions démocratiques face à la logique de guerre permanente.
En étouffant certains récits et en fermant la porte à la pluralité médiatique, Israël prend le risque de fragiliser sa légitimité internationale, tout en alimentant une défiance croissante de sa propre société civile. Comme le souligne l’éditorialiste Amira Hass : « Sans une presse libre, la vérité devient un dommage collatéral de la guerre. »
Israël, confronté à des menaces sécuritaires bien réelles, doit naviguer entre protection légitime et respect des principes démocratiques. La censure militaire, outil ancien mais toujours redoutablement efficace, révèle aujourd’hui les lignes de fracture d’une démocratie en guerre : entre transparence et contrôle, entre sécurité et vérité.
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